Êtes-vous un éducateur canin éthique ?
Est-ce que vous appelez « éthique » tout ce qui correspond à vos valeurs personnelles et aux attentes sociales ? Ou avez-vous vraiment pris le temps de remettre en question l’aspect éthique de vos méthodes ?
Peut-être que vous vous dites que votre vertu dépasse celle des autres ? Que vos décisions en matière d’éducation canine sont, par essence, plus justes, plus éthiques, plus respectueuses des chiens ?
Mais… attendez un peu !
Il est possible que l’effet de supériorité illusoire ait discrètement infiltré vos pensées. Ce biais cognitif, sournois et insidieux, pourrait bien avoir biaisé votre jugement. Il vous pousse à croire que vos actions sont moralement supérieures, creusant un fossé entre vous et ceux qui osent voir les choses différemment.
Mais… pause !
Que savez-vous vraiment des concepts d’éthique et de morale appliqués au comportement animal ? Avez-vous pris le temps de creuser ces notions complexes ? Ou êtes-vous simplement persuadé que vos intuitions suffisent à définir ce qui est bon et juste ?
Ce que nous verrons ensemble dans cet article :
- L’effet de supériorité illusoire et son impact direct sur la manière dont nous percevons les méthodes des autres professionnels du domaine animal
- Les distinctions clés entre morale et éthique – et pourquoi cela compte vraiment
- Les dilemmes moraux et les réflexions éthiques qui surgissent lorsqu’on veut modifier le comportement d’un chien
- L’impact dévastateur d’un manque de connaissances éthiques sur la pratique canine. Et ce, peu importe la ‘’méthode de dressage canin’’ que vous utilisez ou l’étiquette que vous endossez à titre d’éducateur canin.
L’effet de supériorité illusoire
L’effet de supériorité illusoire et la tendance à croire que sa propre vertu est supérieure à celle des autres sont étroitement liés par un phénomène psychologique commun : l’exagération de l’auto-perception positive.
Dans l’effet de supériorité illusoire, les individus surestiment leurs compétences, qualités ou traits par rapport aux autres. Ils se croient généralement plus compétents ou intelligents. Ce biais peut également s’appliquer aux valeurs morales et aux comportements vertueux. Lorsqu’une personne pense que sa propre vertu est meilleure que celle des autres, elle entre dans une forme de biais moral, une extension de l’effet de supériorité illusoire.
Le lien entre ces deux phénomènes repose sur l’idée que l’individu évalue ses actions, ses valeurs et ses croyances comme étant moralement supérieures. Et en même temps il sous-estime ou dévalorise celles des autres. Cela peut créer une perception erronée de sa propre éthique et encourager un sentiment de jugement moral. L’individu critique les autres pour leurs comportements jugés moins vertueux.
Et vous savez quoi ? Nous avons tous tendance à croire que nos valeurs et nos jugements moraux sont supérieurs à ceux des autres. Surtout lorsqu’ils ne partagent pas notre point de vue. Après tout, ce serait surprenant de se positionner sur certains enjeux sans être convaincus de leur justesse, n’est-ce pas ?
En somme, l’effet de supériorité illusoire, appliqué à la moralité, conduit à un biais de supériorité morale. On se considère plus éthique ou vertueux que les autres, renforçant une vision faussée de sa propre excellence morale.
La différence entre la morale et l’éthique
La morale et l’éthique sont deux concepts souvent confondus, mais ils ont des distinctions importantes, surtout dans le domaine de l’éducation canine.
La morale se réfère à un ensemble de croyances personnelles ou culturelles sur ce qui est bien ou mal.
Elle est généralement influencée par la société, la religion ou les valeurs individuelles.
Par exemple, un éducateur canin peut juger que l’utilisation d’un collier à pointes, le fait de mettre un chien en cage, d’utiliser sa nourriture pour l’entraînement, de mettre le chien en retrait pour le punir ou encore d’administrer des antidépresseurs à un chien sont immoraux. En effet, il voit ces pratiques comme une forme de maltraitance envers l’animal, en accord avec ses convictions personnelles.
L’éthique, quant à elle, repose sur une réflexion plus large et rationnelle.
Elle est axée sur ce qui est considéré comme juste ou injuste, fondée sur des principes universels dépassant les croyances individuelles. Elle incite à examiner les répercussions de nos actions sur le bien-être des chiens et à évaluer chaque méthode de manière objective et globale.
Mais, l’éthique ne pointe pas du doigt une action (ou une méthode d’entraînement, si vous préférez). L’éthique nous pousse à prendre du recul pour constater ou prévoir les conséquences possibles d’une action.
Ainsi, une pratique éthique ne coïncide pas nécessairement avec une pratique morale. Une approche éthique se définit par une analyse rigoureuse de nos actions. Dès lors que vous vous interrogez, par exemple, sur les bénéfices et les risques d’une intervention, vous adoptez une démarche éthique, peu importe l’issue de votre réflexion.
Dans le cadre de la formation EPICC pour devenir éducateur canin dans laquelle j’ai l’honneur d’enseigner, j’explore en profondeur les distinctions fondamentales entre ces deux concepts. J’incite également les étudiant-e-s à remettre en question leurs idées préconçues et à adopter une réflexion critique qui dépasse les simples croyances personnelles. Pourquoi est-ce essentiel ?
Faire la distinction entre la morale et l’éthique est crucial pour un éducateur canin.
Si l’on ne se fie qu’à ses convictions morales, on risque de juger les autres méthodes de manière subjective. Sans tenir compte des différents enjeux qui ont pu pousser un professionnel à adopter une approche plutôt qu’une autre.
En adoptant une approche éthique, on peut analyser les pratiques avec un regard plus ouvert et informé. En prenant en compte les raisonnements logiques, la science du comportement canin, et les besoins spécifiques de chaque chien, par exemple. Cela permet d’ajuster ses interventions de manière plus juste et responsable, en dépassant les jugements personnels pour mieux servir l’animal, son humain ainsi que la société.
Je vous entends déjà protester !
Mais, n’est-ce pas là une réflexion dangereuse ?
N’est-ce pas une pente glissante, bien savonneuse, qui mène tout droit vers des pratiques telles que l’euthanasie, l’utilisation d’aversifs, ou encore des outils et méthodes d’entraînement contraignants pour le chien ?
Oui, c’est un chemin vers une analyse approfondie sur les conséquences de nos actions. Et si cela vous effraie, peut-être vaudrait-il mieux interrompre votre lecture dès maintenant. Ne vous aventurez surtout pas dans ce chemin que vous devez tracer de vos propres réflexions.
Quand le pilotage moral automatique ne fonctionne plus !
Les dilemmes moraux sont inconfortables parce qu’ils confrontent nos valeurs, nos croyances et nos principes à des choix où aucune option ne semble pleinement juste ou satisfaisante.
Ce sentiment d’inconfort provient du fait qu’un dilemme moral nous force à choisir entre deux (ou plusieurs) alternatives. Chacune ayant des implications éthiques conflictuelles. Chaque option comporte des avantages et des inconvénients. Et souvent, quelle que soit la décision prise, elle entraîne un certain niveau de sacrifice ou de compromis.
Chaque intervention pour modifier le comportement d’un chien implique de prendre en considération le bien-être animal… Mais aussi…
- Le bien-être de l’humain
- Les normes sociales
- L’autonomie et la liberté du chien
- La liberté des autres humains et de la collectivité
- Les ressources utilisées pour arriver à nos fins
- Les effets délétères et bénéfiques à court et à long terme
- Le respect des lois
- Etc…
Il est donc pratiquement impossible de prendre une décision entièrement morale lorsque vient le temps d’entraîner un animal :
- Peut-être que nos clients devront faire des sacrifices pendant quelques semaines ou mois d’entraînement
- Il est fort probable que nous devrons brimer la liberté du chien, que ce soit en utilisant un moyen de gestion ou en contrôlant l’accès aux motivateurs
- Du temps et de l’argent seront utilisés pour réhabiliter un chien. Ces ressources auraient-elles mieux été investies pour aider dix autres animaux dans le besoin ?
Pour un propriétaire , l’un des dilemmes moraux les plus courants concerne l’euthanasie de son chien. À quel moment décide-t-on que la souffrance d’un animal est telle qu’il serait éthiquement correct de mettre fin à ses jours ?
Certaines personnes estiment qu’il est moral de prolonger la vie tant qu’il existe un espoir de guérison. D’autres au contraire jugent que la dignité et le confort de l’animal priment sur le désir humain de ne pas « abandonner » son compagnon. Ce dilemme repose sur une balance délicate entre ce que la morale personnelle nous dicte et ce que l’éthique suggère : minimiser la souffrance de l’animal.
Pour ceux qui travaillent dans le contexte de refuges, des décisions éthiques complexes surgissent lorsqu’il s’agit de répartir des ressources limitées.
Doit-on consacrer du temps et de l’argent à un seul animal gravement malade au détriment de plusieurs autres, dont la réhabilitation pourrait être plus facile et rapide ? Ce genre de dilemme pousse à réfléchir à la justice et à la responsabilité collective.
Ici, l’éthique questionne l’optimisation des ressources pour le bien-être global des animaux, même si cela va à l’encontre de la morale personnelle qui privilégierait peut-être une approche plus compassionnelle envers un cas individuel.
Pour un éducateur canin, les dilemmes moraux et éthiques apparaissent souvent lors du choix des méthodes d’intervention.
Par exemple, faut-il privilégier des méthodes d’entraînement qui garantissent des résultats rapides, mais potentiellement stressantes pour le chien, ou plutôt des méthodes plus douces, mais parfois plus longues à produire des effets tangibles ? L’éducateur canin doit ici naviguer en eaux troubles : le bien-être immédiat de l’animal versus l’efficacité de l’intervention et les attentes des propriétaires.
De plus, la question de l’utilisation d’outils de dressage de chiens controversés (comme les colliers électriques ou les cages) pose un dilemme moral majeur : certains éducateurs les considèrent comme contraires à leurs principes moraux, tandis que d’autres les voient comme un mal nécessaire pour assurer la sécurité de l’animal et des humains.
Par exemple, certaines personnes ne se sentent pas en sécurité de promener leur chien de 45 kilos sans un licou Halti ou sans un collier à pointes. Vaut-il mieux éliminer les promenades du chien ou laisser au client l’opportunité de faire des choix éclairés pour permettre au chien d’avoir plus de liberté ou d’exercice physique ?
Ici, il ne s’agit pas d’avoir recours au sophisme du faux dilemme. Il s’agit bel et bien des situations auxquelles les clients sont confrontés.
Autre exemple, concernant les chiens souffrant d’anxiété de séparation… Vaut-il mieux les médicamenter au plus tôt avec des médications psychotropes, comprenant des effets secondaires importants, mais permettant de diminuer rapidement les comportements dérangeants (destruction, aboiements, etc.) ?
Un autre exemple qui me vient en tête est la facilité avec laquelle nous suggérons le retrait, l’ignorance ou l’isolement d’un chien à titre d’éducateur canin en méthode positive, alors que pour les animaux sociaux, l’isolement social a des effets délétères au niveau émotionnel parfois plus élevés que l’utilisation de méthodes aversives.
Cela veut-il dire que nous ne devons plus utiliser l’isolement et lancer des briques sur la tête de nos chiens ? Non. Cela veut dire que nous devons pousser nos réflexions plus loin et choisir les méthodes d’intervention, qui, au final, apporteront le plus de bénéfices à l’individu et conseiller nos clients en conséquence.
Au final, les décisions éthiques ne sont pas les bonnes décisions; elles sont les moins pires.
L’impact dévastateur d’un manque de connaissances concernant l’éthique chez les éducateurs canins
Polarisation des discours autour des méthodes d’entraînement
Insultes et attaques personnelles, débats stériles, conflits idéologiques et conformité aux idées du groupe auquel nous appartenons ne sont que la pointe de l’iceberg des effets secondaires.
Ce manque de réflexion éthique limite la capacité à nuancer les propos et à prendre du recul sur les méthodes, menant à une absence de débat constructif; ce phénomène est particulièrement visible sur les réseaux sociaux, où les échanges se polarisent, réduisant la complexité du bien-être animal à des slogans, des faux dilemmes ou des positions extrêmes.
Le manque de débats constructifs empêche une réflexion profonde sur les meilleures pratiques pour le bien-être animal.
Malheureusement, les éducateurs canins ont tendance à se replier sur des règles morales personnelles, influencées par leurs croyances ou expériences individuelles. Alors qu’ils pourraient réfléchir objectivement aux conséquences de leurs actions sur le bien-être des chiens.
Enfin, la peur de sortir des sentiers battus pour réfléchir par soi-même est un autre frein majeur. Lorsque les éducateurs manquent de connaissances en éthique, ils se retrouvent souvent à suivre des approches « acceptées » par leur communauté ou par les courants dominants, de peur de se retrouver en dehors des consensus.
Cette conformité empêche une réflexion critique sur les pratiques existantes. Elle décourage toute tentative d’innovation ou de créativité dans l’entraînement canin. Les éducateurs hésitent à expérimenter ou à ajuster leurs méthodes par crainte d’être perçus comme éthiquement déviants, ce qui conduit à un immobilisme qui ne profite ni aux chiens ni à leurs propriétaires.
En somme, un manque de connaissances en éthique dans le domaine de l’éducation canine nourrit la polarisation des discours, inhibe les débats constructifs, entretient la confusion entre morale et éthique, et décourage les éducateurs de réfléchir par eux-mêmes. Il est donc essentiel de favoriser une meilleure compréhension des concepts éthiques afin de permettre des discussions plus riches, nuancées et ouvertes, tout en plaçant le bien-être animal au centre de ces réflexions.
Article rédigé par Simonne Raffa, Intervenante en comportement canin, propriétaire d’Évolution Canine
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