Mon chien est-il accro à la balle?

Après la mode de l’éducation canine sans conditionnement (ce qui est impossible et laisserait sans mots Skinner et Pavlov), voici la toute nouvelle venue, la tendance 2.0 ; la haine des jeux de balles, sous le couvert de prétendue dépendance et autres méfaits. Frisbees, balles ou tous autres objets prêts à être éjectés des mains des humains attirent les feux des projecteurs.

Penchons-nous sur la question sérieusement.

Ceux qui me connaissent savent que je recherche toujours plus de précisions et de réflexion derrière certaines opinions en éducation canine, que j’ai la tendance à être pragmatique et que j’exècre ce qui manque de logique ou de rigueur scientifique.

Je tiens toutefois à lever mon chapeau à ces personnes qui souhaitent éduquer leurs collègues et leurs clients propriétaires de chiens, car après tout, leur motivation première est d’améliorer la qualité de vie des Canis Lupus Familiaris de ce monde. Même si ici nous avons une divergence d’opinions, c’est la même folie et la même passion qui nous anime. ????

Je tiens à vous avertir qu’il s’agit ici d’un article de fond qui devrait vous prendre un moment à consulter. Bonne chance!

Votre chien est-il dépendant aux jeux de balles?

Entendons-nous d’abord sur quelques définitions afin de partir le débat de la bonne patte. Qu’est-ce que la dépendance?

Selon le Petit Larousse; assujettissement à une drogue, à une substance toxicomanogène, se manifestant lors de la suppression de cette dernière par un ensemble de troubles physiques et/ou psychiques.

Allons-y aussi d’un autre terme souvent utilisé concernant les chiens qui adoooorent courir après leur fameuse «baballe»; les troubles obsessifs compulsifs.

Selon Joel Dehasse, un TOC se décrit comme suit; stéréotypie excessive en fréquence, durée et intensité telle qu’elle engendre une perte des interactions sociales et des comportements de jeu.

De plus, les troubles obsessionnels compulsifs seraient à très haute propension génétique (notez cela, on en reparlera plus bas).

Est-ce qu’un chien peut être dépendant ou toqué par rapport à certains jeux qui consistent à pourchasser sans relâche? Bien sûr que oui.  Est-ce qu’il s’agit de la majorité des chiens? Selon mon expérience et celle de mon équipe qui avons jusqu’à maintenant éduqué plus de 6000 chiens, il s’agit de cas isolés (même très isolés).

Mon chien ne veut plus jouer avec les autres chiens lorsqu’il court après sa balle, est-il accro?

Eh bien, la question n’est pas si simple! En tant qu’humains, nous avons tous des préférences. Ce n’est pas parce que je préfère manger des biscuits plutôt que d’aller faire une heure de vélo que je suis une accro de desserts sucrés. Peut-être que votre chien n’aime pas les contacts avec les autres chiens ou humains, ou peut-être qu’à un certain moment son niveau de motivation fluctue entre différentes activités possibles.

Bien des chiens qui adorent la nourriture auront du mal à porter de l’intérêt à leur environnement lors des promenades. Bien des chiens vont tellement adorer l’environnement qu’ils auront du mal à se concentrer sur autre chose. Bien des chiens vont tellement aimer les autres chiens que la nourriture ou l’environnement va moins les intéresser.

On est qui, au juste, pour décider de ce qu’il est juste d’aimer?? De ce qui est équilibré pour un chien? ????

Afin de savoir si votre chien est dépendant de son frisbee, on peut aussi se poser les questions suivantes;

1. Est-ce que les comportements de votre chien semblent être monopolisés uniquement par une activité (à l’extérieur de cette activité) ?
2. Pendant combien de temps votre chien est-il absorbé par cette activité?
3. Après un épisode où il a pensé que vous alliez sortir la balle ou le Frisbee, combien de temps met-il pour revenir à la normale (retourner à ses activités, se coucher, continuer à se promener, etc.).
4. Votre chien a-t-il tendance à sauter des repas, ne pas faire sa toilette ou à endurer de l’inconfort pour jouer à la balle (ou dans l’espoir de jouer à la balle)?
5. Comment réagit votre chien s’il n’a pas de périodes de défoulement avec sa balle pendant une journée, mais qu’il a eu des périodes d’exercice physique, de stimulation mentale et de mastication?
6. Si on l’empêche de jouer à la balle, votre chien devient-il irritable, frustré ou angoissé?
   • Avez-vous besoin de jouer à la balle avec lui plus souvent ou plus longtemps afin d’éliminer les comportements liés à l’irritation, à la frustration ou à l’angoisse qu’il ressent?
7. Votre chien a-t-il tendance à fixer ou gémir pendant de longues périodes devant l’endroit où vous rangez ses jouets?

Il est à noter que le concept de dépendance est fortement lié aux points suivants :

• Un besoin grandissant de jouer à la balle au fur et à mesure que l’occasion ne lui est pas présentée.
• Une irritabilité liée au fait de ne pas jouer à la balle.
• Un manque de soins (manger, se protéger des blessures et des intempéries) lié à la pensée de jouer à la balle.
• Un besoin grandissant de jouer à la balle au fil du temps (à ne pas confondre avec la résistance physique normale occasionnée par la pratique d’une activité locomotrice).

Pour ceux qui aimeraient en savoir un peu plus sur les théories de la motivation, je vous conseille de jeter un œil sur les théories de Konrad Lorenz, père de l’éthologie, concernant le besoin d’exprimer ou non certains comportements (et cela n’est pas lié –forcément– à la dépendance).

Voici une vidéo (en anglais) qui explique le principe :

Voici un article (en français) expliquant le modèle :

Comportement animal, fondements du comportement

Le concept de dépendance sous un autre jour

On a longtemps parlé de la dépendance comme un effet presque purement génétique. Johann Harri, journaliste et écrivain, met en lumière un concept remarquable en ce qui concerne les problèmes de dépendance;

(Vous pouvez mettre les sous-titres en français.)

Si vous n’avez pas le temps d’écouter la vidéo au complet, voici à mon sens le passage clé :

↪️Et si la dépendance était une adaptation à un environnement?

Cela nous permet donc de nous demander si l’offre d’activités ludiques est assez diversifiée pour notre chien.

C’est d’ailleurs l’un des bons côtés de la remise en question concernant les jeux de pourchasse d’objets; donnons-nous à nos chiens la possibilité d’exprimer leur potentiel à travers des activités variées? Est-ce que ce manque de variété multiplié par des facteurs génétiques pourrait créer ces dépendances? C’est une hypothèse plausible.

Toutefois, les jeux de pourchasse demeurent une activité ludique, plaisante et épuisante pour nos chiens. Pourquoi s’en priver?

Les chiens qui jouent à la balle manquent de contrôle

J’aurais envie de répondre: «et puis quoi?»

Pour les débordements et l’excitabilité qui sont souvent pointés du doigt en ce qui concerne ces jeux, j’ai une bonne nouvelle pour vous; il est normal que ça excite les chiens… parce que c’est amusant! Comme quand on sort notre clicker ou notre laisse… Et on ne pointe pas ces activités pour autant.

Et, après tout, pour qui sont néfastes ces débordements? Probablement plus pour nous que nos chiens, mais on peut toujours leur apprendre à se contrôler. Nous avons justement sur le blogue un excellent article à propos des jeux de tug chez les chiens!

Mon chien chasseur de balles, ce féroce prédateur !

Lorsque nos chiens jouent entre eux, ce sont exactement les mêmes séquences comportementales qui sont pratiquées, sans être complètes (à moins que votre chien dissèque et mange les autres chiens – et là ce n’est pas du jeu). Pourtant, personne ne pointe les jeux entre chiens comme étant la cause des problèmes de prédation canine sur les joggeurs ou de frustration!

Ne pas se rendre au bout de la séquence de prédation génère-t-il de la frustration?

La sélection artificielle a fait en sorte que certaines séquences de la prédation sont plus renforçantes que d’autres selon la race et/ou l’individu (par exemple les border collie qui adorent poursuivre, les malinois qui vont avoir plus de «mordant»/tug). C’est un raccourci que de dire que cela va nécessairement frustrer le chien que de n’être jamais habileté à disséquer et manger sa balle…

Certains individus pourraient être plus frustrés que d’autres en fonction de différents types de jeux, c’est indubitable.

D’émettre le constat qu’il s’agit de la majorité d’entre eux est toutefois une erreur.

Les jeux de balles, une pratique du patron moteur de prédation?

C’est la fonction même du jeu! Pratiquer en toute sécurité des habiletés qui seront un jour utiles et qui devront être finement acquises. C’est exactement pour cela que les chiens jouent entre eux à des jeux de poursuite, de reproduction (le chien qui chevauche peut parfois le faire pour jouer), de lutte, de protection de ressource (le chien qui fait semblant de courir avec son jouet pour se faire attraper), etc.

La plupart d’entre eux n’auront jamais à utiliser ces comportements, mais il s’agit d’une tendance évolutionnaire fortement ancrée.

Donc, plus les chiens pratiquent des séquences de prédation (réelles ou jouées) plus ils vont être efficaces dans la pratique de ces mêmes séquences étant donné que leur musculature et leurs réflexes, se développent en conséquence. Il n’y a toutefois aucune preuve concernant le fait qu’un chien aurait des cibles différentes (attaquer des enfants ou trottinettes) à cause de ces jeux. Il y a toutefois un bon nombre d’études concernant le fait que jouer avec son animal améliore notre relation.

Au final, on pointe du doigt un échantillon de chiens qui ont bien souvent DÉJÀ un instinct de prédation développé dû à leur génétique. Le jeu peut justement servir à les rediriger vers des comportements acceptables dans notre monde d’humains, souvent plus facilement qu’avec la nourriture.

Les blessures liées à cette activité physique

Tout exercice répétitif créant des impacts sur les articulations a de bonnes chances d’avoir une incidence au niveau de la santé articulaire selon différentes conditions;

1. L’intensité de l’animal lors des poursuites et des arrêts
2. La conformation initiale de l’animal
3. Des conditions médicales (dysplasie de la hanche) déjà présentes
4. L’âge du chien (attention aux chiots qui ne doivent pas faire trop d’activités physiques ou au chien âgé qui commence à avoir des problèmes d’articulations par exemple)
5. Le type de terrain sur lequel on pratique l’activité (lancer une balle sur un terrain en pente aura plus d’impacts que de la lancer dans un champ ou dans un lac)

Mes conseils afin d’éviter les blessures :

• Variez les activités de façon générale (entraînement, mastication, nage, canicross, fitness canin, détection d’odeurs, jeux avec des copains canins, etc.).
• Échauffez votre chien avec une promenade de 5 à 10 minutes au préalable au besoin.
• Lancez la balle (ou le frisbee) à votre chien dans l’herbe ou dans un champ afin d’éviter les longues courses en ligne droite qui s’arrêtent subitement (ou encore mieux, jouez dans l’eau!).
• Amusez-vous seulement pendant de courtes périodes (5-10 minutes).
• Alternez les lancers de balle avec des exercices d’obéissance et de contrôle.
• Surveillez tout signe de boiteries et inspectez les coussinets de votre chien à la recherche de potentielles crevasses.

Les autres dangers liés aux jeux de balles : 

• Votre chien pourrait s’étouffer avec sa balle :
  • Pourquoi ne pas se tourner vers une balle plus grosse, un ballon ou un frisbee?
  • Utilisez une balle munie de lanières et utilisez-la uniquement sous supervision
• Les balles de tennis sont à proscrire, car elles usent les dents de votre chien prématurément.

Une question aux mille réponses!

Les jeux de balles sont-ils mauvais?

À mon humble avis, de façon générale, non. Par contre, on ne peut nier que certains chiens deviendront accros (mais, auraient-ils été accros à un autre type d’objet à pourchasser?) et que certaines blessures pourraient être occasionnées pendant ces périodes ludiques.

L’important est de prendre en considération différents facteurs liés aux dépendances et aux troubles obsessionnels compulsifs, de varier les activités, de ne pas encourager les comportements qui nous déplaisent, de faire attention aux risques de blessures et surtout… De laisser votre chien être un chien!

Vous souhaitez mieux comprendre le jeu entre chiens? Vous aimeriez savoir comment l’utiliser de façon optimale dans vos entraînements? J’ai justement lancé récemment une formation en ligne à cet effet!

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Simonne Raffa, propriétaire de De Main De Maître et intervenante en comportement canin

 

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